mercredi 30 avril 2008

Jan Fabre : Art kept me out of jail, au Louvre le 22 avril 2008

Une performance en continue (de 19h à minuit) réalisée par Jan Fabre, visible par des groupes d’une trentaine de spectateurs introduits dans la galerie Daru du Pavillon Denon toutes les 30 minutes. Nous ne savions trop par où ça allait commencer, alors pour se repérer nous, le public, avons formé instinctivement un demi cercle autour d’un sarcophage grec au pied duquel étaient installées 2 cartes postales et aussi derrière lequel semblait dissimulé notre guide/performer. Il est invisible mais un nuage de caméramen, photographes et assistants techniciens sont amassés autour et à coté de cette sculpture.


Nous attendons puis un gars sort, en jeans, bombers kaki et masque à gaz noir sur le visage, il vocifère des mots incompréhensibles, en flamand ? anglais ? Nous commençons par le suivre mais il se met à mesurer les socles des sculptures avec ses pas puis avec un mètre, il passe de l’une à l’autre, en zig zag au travers de la foule, dans la grande galerie; La foule ne sait plus trop comment le suivre, la vision est fortement parasitée par les caméramen qui courent et valsent autour de lui. Le groupe de spectateurs s’étiole, se dispersent en sous-groupes qui parlent entre eux et se demandent ce qui se passent.



Tout à coup notre homme se met à courir à toute allure suivi de près, du moins comme ils peuvent par les caméramen. Notre homme a plus ou moins enlevé son masque, il tient une lampe torche surdimensionnée et monte l’escalier vers la victoire de Saramotrace. Nous ne sommes pas autorisés à l’y suivre par les surveillants du Louvre. A sa redescente, il positionne 3 torches identiques au pied et face à un surveillant qui tout à coup nous apparaît très proche et contemporains des empereurs en toge et en pied sculptés dans le marbre et qui se tiennent aussi droit que lui, juste à coté. Il traverse la salle et lafoule les bras en croix et hurle, revendique, il réclame sa liberté (?) ou bien s’adresse aux caméras qui le suivent toujours comme des mouches. On dirait tout à coup que nous sommes les prisonniers d’une prise d’otages et qu’il réclame qq. chose aux autorités qui regardent les images de ces caméras. Il évoque alors la bouffonnerie spectaculaire de Al Pacino dans « Un après-midi de chien » et donne alors son sens au titre Art kept me out of jail/ l’art m’a empêché d’aller en prison.



A nouveau, il rampe sur le sol comme pour s’enfuir, se cacher, il mesure à nouveau des socles (pour de futurs cadavres ?) s’arrête et hurle en appelant une certaine « Janou » (cf. le bonus en abs d'article) qui à force de répétitions et variations d’intensité fait résonner la pierre et le vide où nous sommes de façon magistrale : musicale et fantomatique à la fois. Ce qui devient une nouvelle manière de mesurer l’espace où nous sommes. Misérable comme un SDF qui hurle dans le métro, héroïque comme un personnage de tragédie antique (par contamination avec les personnages voisins). La résonance acoustique devient résonance contextuelle beaucoup plus vaste, cette nuée de caméra autour d’un homme qui crie et l’attroupement des spectateurs, frustrés produit une image subliminale et documentaire de notre rapport actuel à la souffrance humaine et à la notion même d’événement. Quand est-on sensible ou indifférent ? L'est-on plus ou moins quand il y a des caméras autour ? Le SDF dans votre station de métro est-il une partie du décor ou un événement à chaque fois que vous l'entendez crier ?








Caché à nouveau derrière un sarcophage, on a l’impression que les cameramen accroupis et agenouillés autour filment et guettent une apparition, comme s’ils attendaient la résurrection en direct d’un vieux fantôme, alertés par je ne sais quel chargé de communication de l’au-delà.
Cela continue ainsi, la foule dispersée, plus ou moins attentive, déçue ou alors participative, filmant avec téléphone portable tenu à bout de bras (comme un salut nazi ou une incantation au ciel !), mitraillant chaque nouvelle posture avec les appareils numériques, augmentant ainsi le brouillage visuel. Puis une spectatrice se retrouve dans les bras du performer, serrée fort comme lors de retrouvailles après une terrible épreuve, à nouveau entourée de flash et de caméra.





Le regard du spectateur est finalement amené à saisir tout l’espace et la situation dans son ensemble et non pas seulement à focaliser sur le guide/le showman/l’artiste. Cette galerie est devenue une chambre d’écho qui rapproche le lointain, dans l’espace : la violence, la guerre et notre perception médiatique de celle-ci, mais aussi dans le temps : ces empereurs, guerriers et personnages mythiques de l’antiquité (grec et romaine) retrouvant un lien avec le contemporain. La rencontre de 2 échelles si éloignées entre les vues d’Anvers en carte postale déposée au pied d’un empereur romain sont un montage ludique (la boutique du Louvre utilisée dans le musée lui-même), facile, mais très puissant.





Pour finir sans finir justement, les hôtesses nous indiquent que la session est terminée et nous évacuent alors que la performance continue. L’œuvre / la vie continue même sans nous, sans spectateurs.

Fabre réussit à mettre en scène un lieu et une agora, une foule réunie au même endroit. Il retrouve le sens antique du théâtral paradoxalement par une forme assez molle et improvisée, anti-spectaculaire et anti-cérémoniale, mais faisant exister à 100% toute les formes et êtres en présence.






En bonus un copié-collé d'un article du site Belge : Belga 7Sur7 qui offre plus d'infos sur le sous-texte de cette performance :

La pratique par Jan Fabre de l'assassinat n'est qu'artistique à la différence de Mesrine, qui fut décrété "ennemi public numéro 1" en France, mais il y a d'évidentes convergences entre l'artiste et le truand: le côté provocateur, l'aspect orgueilleux et flamboyant, mais aussi le don du caméléon (Jan Fabre est tour à tour dessinateur, performeur, auteur, metteur en scène, chorégraphe, et parfois tout cela à la fois).
Le titre de sa performance, Art kept me out of jail, ("l'art m'a gardé hors de la prison"), invite sans doute à une lecture autobiographique.Le temps de sa performance, Jan Fabre a pris l'apparence de Mesrine avec une certaine ressemblance; comme son personnage, il est "l'homme aux mille visages", changeant de physionomie en quelques instants en se réfugiant derrière un sarcophage de la galerie.Assis au pied d'un mur qui pourrait être l'un de sa geôle, Fabre/Mesrine crie en anglais son amour pour "Janou" Schneider (compagne du gangster), éructe "Je ne suis pas un animal" ou ironise sur "le Louvre, la plus belle prison en France dont je me sois échappé".
Le spectacle est surtout visuel. L'Anversois implique son public en le bousculant au sens propre comme au figuré, comme il le faisait déjà à la fin des années '70 avec des "money performances" transformant en fumée des liasses de billets prêtés inconsciemment par les spectateurs.
Ici, Jan Fabre enfile une blouse blanche de coiffeur et donne quelques coups de ciseau dans des chevelures, sous le regard pas très rassuré des intéressés.La fin colle aux faits: Jan Fabre s'écroule au pied de l'escalier menant à la Victoire de Samothrace, le torse criblé de balles. Comme, le 2 novembre 1979, Mesrine qui, lui, ne s'en relèvera pas. (belga/7sur7)



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