dimanche 10 mai 2009

Remote Viewer

Vu dans l'expo de Noisy-Le-Sec, A la surface de l'infini, une vidéo de 2001 d'un grand nom de la vidéo actuelle, Remote Viewer de Graham Gussin, mais peu vu par chez nous (oui, on aime le texte et l'objet en France, pas la couleur ni la vidéo). Un dispositif de projection simple mais très précis et assez complexe (et donc riche) dans ses enjeux.


Graham Gussin, self portrait with sleeping masks, 2009



Deux projections en vis à vis : une sur un mur / une sur écran suspendu : déjà juste par cette formulation, la question de la localisation de l'image est ici induite, flottante ou recueillie par le mur et l'espace.



Deux espaces construits : celui de la projection : Cyclo blanc et donc white cube arrondi qui renvoie au lieu de tournage de l'image suspendue, un studio de tournage blanc. En face : un espace noir (black box) où est suspendu un deuxième écran.






Blancheur naturelle de l'expo / blancheur supposée de l'Islande vue dans le film projecté dans le cyclo, Islande parcourue en voiture et visible en long panoramique ou travelling. Noirceur naturelle de la projection cinéma et obscurité supposée de la vision mentale en attente d'image du remote viewer/voyant.



Blanc / Noir : Blanc du fond, de l'arrière plan et noir du troisième écran, celui suspendu devant les yeux d'un personnage filmé dans un studio blanc. On comprend donc qu'ici, on emboite les espaces les uns dans les autres, créant une perspective d'espace et de temporalités miroités et bouclées sur elles-même et rejoués dans les perspectives routières de la vidéo d'Islande.




Le personnage assis à une table qui fait face à un écran noir suspendu est une sorte de voyant, de Remote Viewer, un regardeur à distance "professionnel", donc un double de nous-même spectateurs, qui regardons à distance, dans l'espace et le temps, à la fois l'Islande et ce type.



Le film de paysages islandais ne montre rien d'intéressant, aucun récit à imaginer ici, aucun récit non plus à imaginer en regardant le voyant aveugle assis à sa table. Ici, il nous reste à faire le montage et à supposer, trouver, espérer, croire en des correspondances entre les 2 images, entre les 2 écrans, entre les 2 espace-temps enregistrés.


L'hypothèse du dispositif est d'ailleurs absurde (un humour que la fascination actuelle pour l'ésotérisme en art tend à effacer), et sa mise en scène également absurde, car comment espérer du lien direct entre une séquence montée après-coup (le film du paysage est un film et est donc construit et rien n'y indique la continuité des trajets effectué ni une retranscritpion fidèle de l'espace) Alors qu'en face, le voyant est filmé en plan-séquence, en travelling circulaire continu, donc dans un temps insécable et non manipulé. Rien non plus n'indique que le vidéaste/artiste ait été présent au tournage d'aucun des films. Ni que le filmage en Islande ai eu lieu au moment du tournage du film en studio. Ni que nous voyons l'Islande ! (sans doute choisie pour notre incapacité à vérifier et à identifier des lieux)




Graham Gussin : nothing i know / someting i don't know, 2000





Le noeud du dispositif c'est, bien sur, le spectateur et surtout LE MOMENT de notre présence entre les 2 images. Comment créer du LIVE et du non prévisible à partir de 2 bandes enregistrées et différées. (Ce que j'avais à ma façon travailler dans Masques, 2005) Gussin montre comment mettre en scène la croyance à un événement. Il est donc ici bien utile de remarquer que la vidéo date de 2001 et que nous voyons aussi ici une analyse aux rayons X de notre regard devant un autre paysage filmée à distance (les Twin Towers) et aussi monumentale que la Spiral jetty (le RAPPORT entre le film et la sculpture) qui est une référence explicite de Gussin.




Le regard de Gussin nous ramène donc au dessin, à ce qui se trouve sur la feuille et la table du voyant : des lignes, de spoints, une topographie qui renvoie aux scans et panoramiques de la caméra, aux trajets des filmeurs. comme si le dessinateur voyait non pas le paysage d'Islande mais comme s'il avait une vision satellitaire, GPS, des déplacemetns des filmeurs/ de la caméra, ce tiers invisible et contrepoint généalogique de l'écran.








Le dessin c'est donc la main et le geste humain, entre instance de pouvoir suprême et jouissance totale de l'arbitraire du corps qui fait ce qu'il veut, qui improvise. Le dessin du voyant semble ici pris comme hypothèse ou même comme plan de tournage à suivre pour Gussin, donc comme story-board (ce qui n'a rien à voir avec le scénario et le récit) ! Nouvelle façon de perturber les hiérarchies temporelles entre les différents moments de la création cinéma : ENTRE désir, projet et dessin (design), ENTRE tournage et organisation, ENTRE montage, manipulation et post-production.







Vue d'un élément de l' installation, Maxime Thieffine, Masques, 2005 au Fresnoy




Cet ordre "classique", c'est celui de Hollywood et de la chaine des causes et des effets, celui sur lequel repose le journal TV et les médias, celui de notre attention molle et passive à la fatalité des images animées. Ordre idéologique fort que tord et renvoie à un néant absurde Gussin dans ce travail malicieux et rigoureux, qui s'il parle d'abstraction, parle de l'abstraction (et du neutre) sur laquelle SE FONDE nos rapports aux images, à leur surgissement et à la mise en circulation dans des réseaux de sens qui succèdent / comblent cet abstraction (ce néant) essentielle.





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