vendredi 29 août 2014

Ivon Hitchens

Nude, Sizewell, 1934, 51x60 cm
 
Je feuillette par hasard un vieux catalogue de vente aux enchères chez Boulinier et tombe sur quelques repros de Ivon Hitchens, peintre anglais du XXeme siècle, je décide d'en savoir plus, séduit et intrigué. Il est né Sydney Ivon Hitchens (le masculin pour Yvonne) en 1893 et mort en 1979, il y a 35 ans aujourd'hui. Fils de peintre et petit fils de prêtre, il fit ses études à la Royal Academy de 1911 a 1918.


Après des débuts classiques avec des portraits très renaissance puis se tournant vers l'art moderne, d'abord vers le symbolisme et le paysage à la Maurice Denis, il commence à tordre la vision (à la façon de Spilliaert, Vallotton et les Nabis), courbant la perspective comme à travers un judas, puis sa palette et sa touche rencontrent Matisse dans les années 20 et ses espaces se fractionnent sous l'influence tardive de Cézanne. 

Très vite, sa caractéristique apparaît : ses formats très horizontaux et allongés, comme étirés. Son sujet majeur : le paysage, ce qui est plutôt ce qui m'intéresse le moins en peinture. Mais ...


Triangle to beyond, 1936, 76 x 51 cm


Il définit sa peinture contre le modelé et le dessin  : en étant plutôt attentif à la matière de la peinture (toujours de l'huile sur toile). Plus précisément, il énumère les qualités et critères à apprécier dans une peinture, selon lui : le poids de la peinture sur la toile, l'épaisseur et la finesse de la couche, la relation de la peinture avec la toile et son grain, la texture (douce, granuleuse, sèche ou fluide) et la masse et énergie et la direction des coups de pinceaux.


Il dit que ces images sont faites pour être écoutées : il précise d'ailleurs que son « orchestre » organise 7 composantes  : je garde l'anglais pour rester précis et ne pas interpréter maladroitement : line, form (2D mark), plane, shape, tone, Notan, colour. Le Notan est une notion chinoise lié à la répartition du clair et du foncé, de la luminosité non pas du sujet (donc pas comme le clair obscur) mais dans l'image en cours de composition.


Blue & yellow 1936, 51 x 76cm

On peut le voir, l'intérêt, au delà de ses magnifiques palettes et jeux de couleurs, réside dans cette façon d'être ni abstrait ni figuratif, dans un espace visuel ET mental, de gérer les espaces entre les coups de brosses, leurs nuances propres, leur intensité dynamique et lumineuse afin de convoquer un paysage de synthèse optique. A la fois net ET flou, gestuel ET d'observation, processuel (la peinture ne montre qu'elle même et sa fabrique) ET de représentation, diverses logiques souvent exclues et inconciliable selon les paradigme du moderne du siècle passé. Se vivant d'ailleurs hors école et courant, il déclare en 1934 : « A painter shoud have no rules or formulas». Il a eu du succès, à partir des années 30 et semble aujourd'hui, relativement oublié ou noyé dans la masse informe de l'histoire de la peinture moderne anglaise. Néanmoins, Howard Hodgkin, présenté récemment à Gagosian Paris lui doit beaucoup, Christian Hidaka sans doute, même Gerhard Richter je trouve. Un peintre canadien comme Anders Oinonen, sur qui je me suis promis de revenir, a du le regarder également. En 1934, il participait à une exposition nommée « Objective Abstraction », qui dit bien les choses.



interior boy in bed, 1941, 40 x 74 cm

non identifié

Divided Oak Tree, No. 2, 1958, 51 x 116cm

Autumn trees, 1962

Pour ma part, c'est son choix de format, très étirés, qui m'intrigue, comme des découpes, des plaques de microscope, des prélèvements qui semblent extraits avec un couteau enfoncé et vrillé dans le paysage, bien sur comme des rouleaux de peinture chinoise ou bien encore comme des décors peints. Ces formats permettent de perdre l'oeil, d'empêcher la saisie globale et immédiate de la composition, de suspendre la hiérarchie des échelles, de saisir le moment même où l'oeil va faire le point, juste avant et pas encore totalement. Il produit des espaces par la lumière et la couleur, sans mystique d'absolu et tout le tralala des Klein, Rothko, Fontana etc … C'est donc une peinture qui dialogue et travaille la question de l'image, de sa naissance, de sa production, comme les photos pixellisées de Thomas Ruff par exemple. Il s'agit d'une expérience cognitive d'ivresse solitaire du mental et de son accroche in extremis au réel. Cette amarrage tendu entre vision et observation, geste et image fait tout le prix et l'actualité de son travail.


dark downs through trees, 1966

white sea clouds, 1967

Yellow Hill, 1968, 45 x 117cm
 
La théâtralité des compositions me plaît aussi. Ainsi que l'humour et la désolation de voir apparaître des formes du monde dans des coups de brosses et de la matière étalée dans un cadre. C'est la grandeur désolée de la peinture moderne qui brille ici. Sa palette de couleur dans les années 60 plus particulièrement est sublime, proche de O'Keeffe ou Frankenthaler, onctueuse, lumineuse, pop et acide, abstraite et singulière.



South Coast, 1969

En attendant une certaine ré-évaluation et d'en voir en vrai, je conseille le beau catalogue de Peter Khoroche (2007), visible à la BPI du centre Pompidou.

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